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Nabi Saleh – Place au Martyr

La route semblait longue, en ce mois de décembre, pour se rendre à Nabi Saleh, dans le nord palestinien. Plus les kilomètres de roche et de sable défilaient, plus le silence se faisait dans la voiture.  Mahmud était venu nous chercher plus tôt dans la journée. J’avais cette étrange impression de m’être fait kidnapper de mon plein gré, vers un endroit, un évènement qui ne me plairait pas, j’en étais persuadé. Mais l’idée de participer à la cérémonie d’enterrement d’un martyr, éveillait ma curiosité. Une curiosité si morbide, je dois l’avouer, mais le rendez-vous devrait être unique.

Mahmud nous avait briefé sur le chemin. Il en valait également de sa réputation. Les ‘’occidentaux’’ qu’il amenait là-bas devaient savoir rester respectueux, discret et poli. Un rituel devait se mettre en place et de nombreux dignitaires devaient participer à la cérémonie.

Tout au long de notre périple, Mahmud nous avait briefé. Le premier contact que nous avons eu avec lui, c’était à Jérusalem. Nous étions en train de prendre un café près de l’arrêt de bus qui nous avait amené ici depuis Tel Aviv. Il y avait ce pont très moderne en face de nous, première vue de Jérusalem qui me déçu ; Je croyais découvrir une ville ancienne, en retrait dans le passé, figée plus de 2000 auparavant. Il y avait aussi ce supermarché, gardé par deux soldats armés de M16. Des femmes voilées y entraient, des jeunes juifs portant la kippa, une multiculturalité, un quotidien ‘’normal’’ qui lui aussi me déçu. Très très égoïstement, j’aurais voulu voir plus de haine, plus de violence. Bref, plus de ce que les médias ont l’habitude de nous raconter. Des attentats, des enfants en pleurs, une jeunesse qui manifeste, une précarité malsaine et une tristesse dans les regards. Rien de tout cela n’était flagrant. Mais je compris, peu de temps après, qu’en Cisjordanie, actuellement, la guerre est silencieuse, insidieuse. Un poison lent, qui, goutte à goutte, tue cette région du monde.

Notre premier contact avec Mahmud se fit donc par téléphone. Le contact nous avait été donné à Istanbul. Avec les recommandations qui allaient avec. Il fallait chercher un code pour chaque numéro de téléphone. Si, a l’aéroport de Ben Gourion, les douaniers israéliens trouvaient dans nos affaires personnelles, ou notre GSM, des numéros compromettant, nous risquions d’être renvoyé dans le prochain avion, ou pire, de mettre en danger nos contacts. Notre premier geste sur place fût d’acheter une carte Sim israélienne, et de décoder nos nombreux contacts, à partir d’un enfantin rebu de chiffres et de lettres. Par précaution, nous avions également supprimé tous nos mails avant le départ, et vérifier nos réseaux sociaux.

Nous eûmes donc Mahmud au téléphone, dans un anglais parfait. Comme tous les palestiniens, en général. Savoir parler anglais est pur eux une arme. La communication, ils en sont sûr, leur sera bénéfique, même salvatrice. Mahmud nous fixa rendez-vous deux jours plus tard, à un carrefour de Bethléem. Bethléem, première vile palestinienne à 15 minutes de route de Jérusalem.  La ville est  très difficile d’accès pour le peuple palestinien. Seuls les détenteurs d’une autorisation peuvent entrer dans la ville. C’est-à-dire les jeunes enfants, les vieilles personnes et les travailleurs. Une poignée de gens. Cela fait 25ans que Mahmoud n’a plus eu l’autorisation d’y accéder. Leur AL Quds, ‘’La Sainte’’, a seulement 10 kilomètres de Bethléem, est inaccessible. Une aberration. L’autorité israélienne justifiant cela par leur peur du terrorisme.

Presqu’aucun palestinien de réside à Jérusalem. Seuls les travailleurs disposant d’un appartement dans Jérusalem-est. Ils y restent, loin de leur famille. La crainte, qu’une fois rentré en Palestine pour visiter leurs proches, ils seraient dans l’incapacité de retourner dans la Ville Sainte, et perdre leur emploi. Les autorisations se donnent et se retirent très facilement. 

Larmes et sang

Mahmoud nous emmenait donc à l’enterrement de Mustafa Tamimi, un martyr palestinien, décédé lors d’une manifestation pacifique le 10 décembre 2011, quelques jours auparavant. La cérémonie rassemble du monde, du ‘’beau’’ monde. La tension monte dans la voiture. Mes deux compagnons et moi-même ne savons pas vraiment à quoi nous attendre. Il est 11h00 du matin lorsque nous atteignons enfin Nabi Saleh. Arrivés sur la place de ce petit village, bâti sur une colline aride et entouré de colonies juives habitées et en construction, c’est l’abondance. Ne cinquantaine d’hommes sont présents, debout, à parler, habillés de leurs plus beaux keffiehs. Les drapeaux palestiniens flottent de toute part et la famille a fait imprimer une gigantesque affiche du martyr, ensanglanté. Mustafa Tamimi a en effet reçu une balle dans l’œil gauche. L’image est affreuse et placardée partout. Ce n’est pas la première fois que l’on observe des affiches comme cela. Où nous, occidentaux, préférons montrer la plus belle photo du défunt, les palestiniens, eux, envers leurs martyrs, affichent les plus horribles représentations. Ce sont des martyrs, cela doit choquer. Et c’est réussi.

Dès que nous sortons de la voiture, Mahmoud hèle une fillette pour qu’elle accompagne Juliette mon amie, dans la bâtisse réservée aux femmes plus bas dans le village. Le père, les frères, les oncles et les cousins sont assis en dessous de cette affiche, le long d’une façade où le soleil est dense. Nous nous avançons vers eux. Personne n’a été prévenu de notre arrivée, et je sens les regards lourds et interrogateurs. J’ai peur de passer pour un touriste voyeur, ou pire, j’avoue, pour un israélien. Tour à tour, je salue les proches du défunt. Deux des frères pleurent tandis que le père reste impassible. Une vingtaine de mains serrées, un jeune homme me propose de m’assoir en face de la famille. Je n’ose refuser, mais j’aurais donné ma place à n’importe qui d’autre. Le bal des dignitaires commence alors. Mahmoud nous souffle toujours à l’oreille des indications sur les personnes présentes. ‘’Voici le jeune ambassadeur espagnol’’. ‘’L’italien arrive, toujours en retard’’. ‘’Le chef du village untel, ou untel’’. Et ceci pendant près d’une heure. Les gens débarquant, saluent la famille et repartent. Ce rituel dure depuis 3 jours. Trois jours de deuil intensif pour ce martyr dont toute la Palestine connaît maintenant le nom. Trois jours de bal macabre, enflammé d’un soleil pesant et enrobé d’odeur de chèvre rôtissant.

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